Les bouclettes de Chloé repoussent !
C’est le premier fait marquant de notre retour en Argentine. La sécheresse de l’air andin et le froid avaient eu raison de cet aspect unique de notre terroriste de fillette – et pas de son tempérament, ce qui vaut à ses deux parents de toujours rêver mais rêver seulement au mot » silence » – mais manifestement, nous changeons une fois encore de région, et donc simultanément de paysages et de climat, chaud et surtout plus humide.
Exit donc les cheveux droits et hirsutes et welcome back aux frisettes tirebouchonnées. Avant d’amorcer notre descente vers la patagonie et la pointe sud du continent américain, nous avons prévu de prendre le temps de visiter le » noa « , le nord-ouest argentin – et comme décidément le voyage transforme en profondeur, nous nous sommes tenus à ce que nous avions prévu.
Et nous avons bien fait !
Nous passons un bref bivouac à Susques, un petit village Andin niché à environ trois mille mètres d’altitude, où nous parvenons à échanger notre bouteille de gaz bolivienne contre une bouteille flambante (façon de dire) neuve argentine : le chauffage, l’eau chaude et le frigo sont de retour chez les baluchons … il était temps ! Non sans mal tout de même : nous essuyons un premier refus dans une épicerie, et la seconde manque de nous réserver le même sort. La tenancière, méfiante, prend notre bouteille et la compare sous toutes les coutures (la couleur n’est pas la même) : diamètres, hauteur, raccord, etc. Finalement, elle nous la reprend et pour la récompenser – et uniquement pour celà – nous lui achetons en prime un pot de dulce de leche (que nous aurons fini dès le lendemain matin !) Nous étions en rupture de propane depuis une bonne semaine, et il était impossible de se réapprovisionner au Chili : les bouteilles y ont un format tellement exotique pour nous qu’il est à la fois impossible de les loger dans l’emplacement prévu à cet effet dans notre tampicar, et de les connecter à notre installation, et les usines de gaz les plus proches auprès desquelles nous aurions pu recharger directement les nôtres étaient à trois cent kilomètres de là. Autant vous dire que je suis plus motivé que jamais pour connecter notre réfrigérateur à nos panneaux solaires, sujet sur lequel je m’arrache les cheveux – je sais 🙂 – mais qui promet une réduction de moitié de notre consommation de gaz. Ici, en Argentine, la bouteille de 10 kilogrammes vaut environ 16 pesos (un peu moins de 3 euros) mais au Chili, il nous faudra parcourir plusieurs centaines de kilomètres entre deux usines de gaz : j’ai quelques semaines pour trouver une solution ! Amis lecteurs et camping-caristes, si quelqu’un a déjà réalisé un tel montage, je suis preneur !
Pour l’heure, nous avons prévu de remonter un peu au nord pour visiter une quebrada – une sorte de canyon – qui est classée au patrimoine de l’humanité, la quebrada de Humahuaca. Le paysage vaut effectivement le coup, mais nous avons quand même déjà vu plus ébouriffant… Curieux que ce coin soit classé alors que d’autres ne le soient pas. Toujours est-il que le village de Tilcara est notre première halte sur les lieux, ce 20 octobre. Nous parvenons à trouver une place de parking calme, au coin de la place centrale, le long d’un trottoir généreusement arrosé par le wifi d’un café tout proche.
Tout parfait !
Enfin, parfait jusque à ce que, en pleine rédaction de mon article sur le Salar d’Uyuni, on tape à la porte. Un type à l’air extrêmement louche – entendez par louche : l’air d’un type de quarante ans, avec plein de cheveux … vous avez déjà vu ça, vous ? – m’interpelle dans un excellent français : » Ce serait pas vous qui vous seriez fait voler votre boite à chiottes ? »
Passé l’effet de surprise puis de lassitude (il va falloir que je travaille un peu mieux la trace que je compte laisser à l’humanité, il faudrait que le type qui google « baudchon » ne tombe pas que sur « boites à chiottes »), je reprends mes esprits et profite de la présentation de sa compagne, Emilie, pour lancer fort subtilement « Ah ouais, j’aime bien ce prénom, j’aurais bien voulu qu’une de mes filles s’appelle Emilie mais Valérie n’a jamais voulu, elle trouve que ça fait prénom de clébard. » (une vieille histoire d’amis : Nicolas S. expert comptable et néanmoins ami d’enfance, et parrain de Chloé, avait effectivement une chienne dont le nom était Emilie – heureusement que Valérie n’a jamais su que Nicolas avait un hamster prénommé Hugo, et que ses deux plus fidèles compagnons étaient des vers de terre femelle nommées Chloé et Léna).
Le décor étant planté, nous comprenons rapidement que nous ne pouvons gâcher un instant pareil : un concentré de France pareil, si loin du territoire natal, ça s’entretient ! D’autant plus que nos amis ont eu l’excellente de fabriquer deux charmants bambins qui n’attendaient que les nôtres pour lancer un raid hostile sur tout ce qui bouge, et croyez-moi, ça les démangeait gravement. Tenant chacun d’une main et comme nous pouvons – c’est à dire peu – nos enfants, qui, joyeusement, explorent déjà nos véhicules respectifs, chacun déclarant immédiatement que l’autre est bien mieux que le sien, sur un air de reproche bien senti aux parents concernés, nous décidons de passer la soirée ensemble afin de tester la parilla locale car, sur ce sujet comme sur d’autres, une même rigueur scientifique nous anime et il n’est pas question, ayant la patrie chevillée au corps – ceux qui me connaissent savent de quoi je parle, et non, les gros mots sont interdits même dans les commentaires – il n’est pas question donc que nous soyons pris en défaut sur le légendaire sens cartésien des français (cette phrase était très longue, c’était un test de concentration : bravo à ceux qui sont arrivés au bout, recopiez le code suivant « christianestuntypeextraordinairelapreuvejelécrislibrementavecmonclavier » dans un de vos commentaires, les cinq premiers auront droit à un cadeau.)
Ceci étant dit, vous me connaissez : c’est la dernière fois que je balance un compliment publiquement.
Il ne faut pas exagérer : des gens qui habitent sans sourciller à moins de 5 kilomètres du fief de Ségolène Royal (ben oui, ils sont des Deux Sèvres, c’est dur mais c’est comme ça), ça peut inquiéter le Christian Jules. Il parait que les lecteurs de leur blog sont extrêmement mous du commentaire : avis aux intéressés, vous êtes autorisés à y effectuer un raid hostile. 🙂
Pour l’heure, nous partons au restaurant, en parlant le plus fort possible pour tenter de couvrir le son de nos estomacs qui sont entrés en fusion active à l’idée de déguster une parilla, et conserver encore un peu de dignité – après tout, nous nous connaissons à peine : nous sortons de deux mois un peu chiches sur le plan gastronomique – en particulier en Bolivie : poulet, ou riz, ou poulet et riz – et Bertrand et Emilie viennent de traverser le Paraguay, dont le seul nom me fait imaginer que, au mieux, leurs meilleurs chefs cuistots viennent de … Bolivie.
Un mot – un poil plus, peut-être ! – justement sur les parillas : la spécialité argentine, devant même la dulce de leche, le maté, le sens de l’hospitalité, et j’en passe. La parilla, c’est, autour de quelques légumes et une sauce dite » escabeche » (des tomates, oignons, parfois des poivrons légèrement vinaigrés et salés) divers morceaux de viande grillées qui se terminent invariablement par un peu de boudin (qui est ici à la viande de vache) et de ris (de veau, j’imagine, ou d’agneau). Pourtant, pour l’instant je ne sais rien sur la parilla et surtout sur la technique de l’asado, qui est le barbecue local, et que vous trouvez en Argentine à votre disposition partout : dans les campings, sur les parkings, dans les jardins des maisons à jouer et même, nous l’avons appris hier soir, lorsque la région est trop venteuse comme la Patagonie où nous nous trouvons actuellement, dans les garages !… Toujours est-il que pour l’heure, j’ignore que je ne sais pas ! Vous verrez bientôt comment nous apprendrons à devenir un peu meilleurs en la matière… restons modestes ! Et gourmands …
Après une recherche de bivouac sauvage infructueuse, nous garons nos camping-cars sur la place de l’église,

Pas mal, non ?
non sans avoir oublié de refaire la maçonnerie d’une des bâtisses avoisinantes avec mon porte vélo… Le lendemain, nous avançons dans la quebrada dans un beau et large canyon, et trouvons en fin de journée un beau bivouac près de Humahuaca, à quelques kilomètres du centre. Du bois – Hugo adore filer à la recherche du bois mort, qui cette fois-ci contiendra même un peu de cactus desséché -, du feu, de la viande, une grille achetée au brésil, une bouteille de Punta Corral, un vin déniché par les Réjou dont nous irons visiter la bodega sur notre route retour … et c’est parti pour un formidable bivouac. Nos grillades du soir sont excellentes, même si nous la cuisons un peu comme nous pouvons …
A ce sujet, je me souviens d’abord du commentaire d’un des guides de voyage, qui indique en introduction que les argentins mangent leur viande très cuite parce qu’ils croient que la cuisson tue les bactéries. Ce à quoi Damian Strier, l’ami qui nous avait accueilli (avec Maria Inès, bien sûr !) à Buenos Aires au début de notre périple avait répondu, malicieusement (il avait vécu deux ans en Europe) que oui, forcément, notre viande, on ne pouvait pas faire autrement que ne pas la cuire sinon elle devenait trop dure… Passée la digestion de la vanne, et ayant mené de nombreuses expériences, je crois bien qu’il a raison sur les deux plans ! Je peux vous dire que c’est quelque chose de déguster une viande grillée au point d’être croustillante, cuite – rosée, à peine – et toujours juteuse, enfin incroyablement tendre à la fois. J’y reviendrai ! Pour l’instant, nous saisissons notre viande plus que nous la cuisons à l’argentine, mais nous nous régalons quand même.
Et comme les bonnes choses ont une fin, nous nous séparons le matin suivant, les Réjou partant à l’assaut du bout d’altiplano qui trône plus au nord, pour attaquer leurs premiers tours au dessus de 4000 mètres d’altitude.
En redescendant la quebrada, et avant notre halte dans la montagne aux sept couleurs, nous décidons de visiter la bodega Fernando Dupont recommandée par Bertrand et Emilie. Et c’est un vrai jeu de pistes ! D’abord, spécialité argentine pour tout ce qui concerne le tourisme, point de fléchage ! Sur la base des indications de nos compères, nous trouvons dans le village la petite rue qui s’écarte du centre et qui nous mène au bord d’un rio (une rivière) presque totalement asséchée, que nous longeons sur une piste étroite et assez défoncée sur deux

kilomètres. Puis, une petite pancarte nous indique … qu’il faut traverser le lit de la rivière, large d’une centaine de mètres, le chemin à suivre étant bordé de grosses pierres posées là le temps de la saison sèche. Deux passages à gué plus tard nous parvenons sur l’autre rive, et un petit bout de piste plus loin, nous tombons sans transition sur des vignes, bien vertes – ce qui suffit à trancher dans le paysage ambiant – parsemées ci et là de beaux et grands cactus. La visite menée rapidement nous mène dans un bâtiment récent en haut de la propriété, où trônent de belles et flambantes neuves cuves en inox.
C’est alors, au milieu des explications, que surgit d’une pièce du fond un grand bonhomme vêtu d’un long tablier, à la fois classe et souriant – argentin ! – une éprouvette dans la main droite et une pipette dans l’autre main. Il a entendu parler français et se présente malicieusement » Fernando Dupont » lui-même – avec un tel nom de famille s’amuse t-il, il a forcément du sang français dans les veines ! – et, privilégiés car ici on visite mais on ne goûte pas, nous propose de déguster le cru qu’il est en train d’assembler lui même. Nous retrouvons le vin que nous avons goûté le(s) soir(s) précédent(s), encore mieux équilibré, à la fois puissant et floral. Excellent ! Nous discutons quelques instants, principalement en français car il pratique un peu notre langue – et nous sommes ravis de parvenir, parfois, à boucher les trous avec notre médiocrissime espagnol – de sa stratégie et la jeune histoire de sa propriété – des vignes plantées récemment, en un lieu où il est le seul pour l’instant à produire du vin dans cette région assez sèche et située à plus de 2000 mètres d’altitude. Pour l’instant, son estancia située à Buenos Aires lui permet de faire vivre sa bodega, située donc à 1600 kilomètres de là (imaginez un peu : vous faites du vin à Bordeaux, et vous avez une petite ferme … à Istanbul), en attendant que sa production atteigne son maximum – elle augmentera graduellement au fur et à mesure que se vignes parviendront à maturité. Ça promet !
Pour l’instant, il ne compte pas exporter : nous serions, nous européens, difficile à fidéliser … Il ne m’en fallait pas plus pour me dire qu’il faudra bien lui prouver le contraire : si, dans mes 97 projets de retour, je me lance dans l’importation de produits Sud Américains en Europe, il y aura du Punta Corral dans les rayons ! Je laisse de côté les commentaires sur les paysages visités et traversés, pour laisser la place aux photos. La quebrada de Humahuaca mais surtout la montagne aux septs couleurs, une fois les bus de touristes partis, nous ont vraiment plu … surtout le bivouac au pied de cette magnifique montagne rouge, qui bordait une petite écurie. Magnifique ! Et c’est au passage le lieu où nous aurons rencontré nos premiers touristes français bordelais … merci à eux pour le détour sur le blog, comme aux autres. Vous l’aurez compris, notre retour en Argentine, c’est toujours de beaux paysages, des bouclettes retrouvées, mais surtout l’esprit du voyage et des rencontres qui s’intensifient, et la satisfaction d’être de retour sur des terres gastronomiques !
Article écrit le 1er décembre 2009 (déjà ! …) à Camarones, dans la province du Chubut, sur la côte Atlantique. Température 15 degrés, beau temps … et 50 km/h de vent (et il paraît que nous n’avons rien vu !)
La Quebrada de Humahuaca en images :
PS : mes photos sont uploadées sur mon compte Flickr, et les photos reprises ci-dessous sont classées en albums – j’y mets parfois des commentaires (le temps manque un peu pour l’exhaustivité !), avis aux amateurs. Le nom de mon compte Flickr : Christian-Jules et l’adresse permanente http://www.flickr.com/photos/baudchon/



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