Le passage du Brésil à la Bolivie a le mérite d’être clair : nous passons en quelques secondes d’un monde à un autre, et pour commencer d’une route asphaltée à une piste poussiéreuse ! Le tout, naturellement sans aucun panneau si bien que, pendant un ou deux kilomètres nous nous demandons si nous sommes bien sur le bon chemin, si nous avons effectivement quitté le Brésil et si nous sommes en Bolivie. Et, au bout de quelques centaines de mètres, nous tombons sur un tableau qui me semble encore aujourd’hui irréel.
En effet, au Brésil, pour passer les formalités de sortie du territoire, nous avions dû errer dans les rues de Caceres, ville « frontière » située quand même à une centaine de kilomètres de la frontière elle-même afin de trouver le bureau de la trésorerie pour effectuer les formalités d’exportation de notre camping-car (eh oui…) puis trouver la police fédérale pour faire tamponner nos passeports. Sans celà, nous aurions très bien pu sortir du Brésil sans effectuer la moindre formalité (mais gageons que nous aurions été bien ennuyés si un jour nous étions revenus dans ce pays, ce que nous ferons certainement). Quand je dis « errer » c’est pour de vrai : il s’agit de la seule technique que nous ayons trouvée pour atteindre un lieu précis dans une ville brésilienne. Les directions données par les indigènes sont souvent perçues par notre équipage de façon assez approximatives, la barrière de la langue se prêtant mal à de longues explications en double file ou en plein milieu de la chaussée, et pour ce qui est de la signalétique disons que je retiens de ce pays que les brésiliens préféraient certainement s’immoler par le feu (en allumant éventuellement l’ensemble à la cachaça, l’alcool brésilien) plutôt que de planter un panneau de signalisation utile (car, pour ce qui est de la signalétique inutile, genre « centro » quand on y est, ça, parfait, il y a).
Notre arrivée en Bolivie, donc.
Au bout de quelques centaines de mètres incertains sur un chemin cahoteux, nous contournons laborieusement un autobus planté là pour on ne sait quelle raison (probablement uniquement pour qu’on le contourne, qui sait ?), quelques cabanes dont l’une semble faire office de bar – station de bus, remettons le couvert sur quelques centaines de mètres de chemin et, au détour d’un vague virage, nous débouchons (ça rime avec Baudchon, c’est parfait) sur une sorte de clairière, littéralement remplie de militaires (peut-être une centaine), au visage d’adolescents et fusil à la main. Le tout donne une impression de désordre latent et vaguement inquiétant, certains soldats discutant en petits groupes, d’autres vaquant à diverses occupations matérielles, la dernière fraction d’entre eux étant plus ou moins regroupée autour de ce qui semble matérialiser la frontière, une énorme barrière de bois formée d’un magnifique tronc d’arbre, fraîchement repeint qui aurait de l’allure si mon attention n’était pas quelque peu accaparée par la scène alentour. Un bureau et une chaise un peu retrait, sous un toit de fortune font office de bureau administratif. J’y laisse mon permis de conduire et la copie de ma carte grise, le responsable (aussi jeune que les autres) semblant en tirer un nombre d’informations si considérable qu’il lui faut griffonner de longues minutes sur son registre en papier un nombre impressionnant de numéros. Puis, il me rend le tout en avisant un de ses collègues, qui se couche à moitié sur le contrepoids de la barrière qui se lève enfin, sur un magnifique panneau fraîchement repeint qui clame un tonitruant logo « Coca Cola » et un sensiblement plus petit et plus discret « Benvenido en Boliva » (orthographe non garantie, je fais avec mes souvenirs et ma grammaire espagnole !). Plus tard, quand même, nous nous apercevrons que les bouteilles de Coca Cola vendues dans le pays sont toutes fabriquées en Bolivie. Ceci explique peut-être cela !
Quelques kilomètres de piste plus loin, nous arrivons à San Matias, la ville frontière où nous devons effectuer les formalités d’entrée sur le territoire – pour nous mais aussi pour le camping-car. Nous sommes Dimanche, et après une paire d’heures à errer dans les rues poussiéreuses du village (y compris à suivre une moto-taxi au domicile du responsable de l’immigration, qui est absent et qui reviendra seulement « mas tarde » sans que nous parvenions à en tirer davantage du groupe d’enfants qui semble avoir colonisé le vague terrain propriété de l’intéressé) il faut nous rendre à l’évidence : pas de formalités le jour du seigneur. Nous allons donc bivouaquer sur la place centrale du village, sans pouvoir non plus profiter des réjouissances locales (je plaisante, bien sûr) car nous n’avons pas de monnaie locale et il n’est pas possible de changer quoi que ce soit en ce torride 6 septembre 2009.
Nous logeons notre tampicar à l’ombre bienveillante d’un gigantesque manguier situé en bordure de la place centrale, qui pour nous souhaiter la bienvenue nous larguera quelques fruits sur les panneaux solaires pendant la nuit, ne manquant pas de réveiller la tribu dans son ensemble ! Quelques discussions vraiment sympathiques avec des habitants du coin ponctuent la journée, et notamment avec Oscar, le chef d’établissement d’un collège du coin – il nous vante les multiples destinations qui s’offrent à nous sur l’immense territoire bolivien, en reconnaissant à demi-mot que effectivement il faut pousser un peu plus loin pour commencer à voir ce qu’il y a à voir ! Au passage, nous sommes ravis de pouvoir à nouveau nous raccrocher à nos bribes d’espagnol … à côté des discussions tellement laborieuses en franglospaniportugais du Brésil, j’ai l’impression de dominer le castillan comme n’importe quel traducteur appointé au parlement européen (mais ne vous en faites pas chers lecteurs, j’en suis toujours à confondre première et troisième personne du singulier).
Au coucher du soleil – ah ! toujours le bienvenu le coucher de soleil … il fait encore et éternellement semble t-il un gros quarante ou quarante-cinq degrés à l’ombre – sortent de la caserne qui occupe en gros un des quatre côtés de la place centrale (oui, je vous assure, la place est carrée – recomptez si vous voulez), très vaguement au pas car le drapeau est descendu pour la nuit. Je n’avais pas vu deux autres militaires qui nous aboient un ordre subtil en nous avisant vaguement du bout du fusil, compte tenu du fait que nous avions au moment précis ou le drapeau était abaissé le dos tourné au dit drapeau. Effectivement, pendant un quart de poil de seconde toutes les personnes présentes sur la place du villages étaient debout et tournées – avec une justesse de tempo et de durée impressionnantes, message envoyé aux autorités : fait !
Certaines personnes continuent de venir discuter – des badauds, des enfants, un vendeur de glace bien content de discuter le temps que sa clientèle quitte enfin l’Eglise, et dont la couche de transpiration me parvenait en effluves tellement épaisses que j’en étais content de n’avoir aucun boliviano à offrir en contrepartie de sa marchandise. Précisément, la fin de la messe approchant, la maison qui fait l’angle à côté du tampicar se transforme en un quart de tour de main en Macdo Bolivien – nous négocions un paiement en monnaie brésilienne, et c’est parti pour un délicieux repas hamburger – frites – fanta … notre premier repas bolivien ! Au passage, fonctionnement du restaurant sur le pouce bolivien : la femme accueille, dirige, encaisse, la fille fait la cuisine et fait le service, et le mari reste assis dans un coin, et se lève une ou deux fois pour bouger mollement une des chaises en fonction des nécessités… Nous profitons de l’ambiance de la place centrale, très animée (« mais d’où sortent-ils tous ? ») pendant deux ou trois heures après la sortie de la messe.
Le lendemain matin, direction le change qui se fait sans problème si ce n’est que ma monnaie brésilienne est changé sans reçu – « pas besoin ! » à un taux convenable toutefois – par une femme aussi aimable que les immenses sacs de papier toilettes disséminés tout autour du sombre bureau qui sert d’officine à l’activité principale et supposée du lieu, la vente de billets de bus. Les formalités se passent étonnamment bien et simplement. En deux heures, tout est fait, presque sans complication – un petit aller-retour au centre du village pour photocopier nos documents (le douanier en poste de disposant pas de photocopieuse, il nous renvoie au centre technologique du village tout proche) me permet de débusquer le cybercafé qui m’avait échappé la veille : vous entrez dans une maison, à droite la chambre à coucher, un couloir, à gauche une pièce obscure dans laquelle semblent tenir quelques ordinateurs, squattés par quelques ados sur des jeux vidéos, et effectivement un photopieuse bien gardé par un gamin qui pleure à n’en plus finir sur son siège, le tout tenu par une jeune femme vraiment sympathique …
Nous passons un péage (oui, un péage !) avant de nous engager sur les 300 kilomètres de piste que nous indiquent la carte, au bout duquel se trouvent le circuit des missions boliviennes qui constitueront la première étape de notre périple dans ce pays qui nous permet de nous enfoncer encore davantage dans un dépaysement de plus en plus total…


Répondre à Leos Isax Annuler la réponse.